L’historien du Bassigny ou le généalogiste intéressé à l’histoire de ses familles ne peut méconnaître la coutume du Bassigny. Elle a régenté, depuis des temps immémoriaux et jusqu’à la Révolution française, la société bassignote au travers de ses classes sociales, de ses contrats, des successions, de la gestion des terres… bref, de tous les événements de la vie.
Dès le XVesiècle, le besoin de mettre par écrit des règles qui étaient jusqu’alors transmises verbalement de génération en génération se fit jour. En 1454, le roi de France Charles VII prescrivit, par l’ordonnance de Montil-lez-Tours, la rédaction de toutes les coutumes du royaume. Les autres puissances européennes, l’Empire d’Allemagne et la Bourgogne notamment, adoptèrent la même politique.
La Lorraine ne pouvait rester à l’écart du mouvement, d’autant qu’elle était sujette aux empiètements français sur sa frontière occidentale. Le Barrois mouvant relevait en effet en appel du bailliage de Sens, et ses juges tentaient d’en appliquer la coutume. Sous l’impulsion du duc René II, dès le début du XVIe siècle, la rédaction systématique des coutumes du Barrois fut entreprise.
La rédaction des coutumes en 1507
La première rédaction de la coutume du Bassigny fut entreprise en 1507[1]. Par mandement du duc René II, daté du 30 janvier 1507[2], Jehan de Sérocourt, bailli du Bassigny, et Didier Beget, sénéchal de la Mothe et Bourmont, et lieutenant général au bailliage, firent donc, en février 1507, « assembler les gens des trois estatz, c’est assavoir : les gens d’eglise, nobles et commis dudit bailliaige ».
Cette rédaction s’avérait nécessaire. Les Coutumes de Sens venait d’être publiées en octobre 1506. Du 28 septembre au 3 octobre 1506, était rédigé la Coutume de Bar, et celle de Saint-Mihiel en février 1507. La rédaction des coutumes du Bassigny fut réalisée du 23 au 26 février 1507, à Lamarche et à La Mothe[3]. Le procès-verbal en est conservé[4].
Douze ecclésiastiques, quatorze nobles ou officiers, treize représentants du Tiers, praticiens, gens de justice et bourgeois y participèrent. Ce furent :
« Reverend père en Dieu, frere Anthoine Micquel, abbé de Flabemont, aaigé de LXV ans ou environ.
Religieuse personne frere Demenge Malferel, ministre de l’eglise de la Trinité de la Marche, aaigé de LX ans ou environ.
Frère Jehan Chappus, religieux de ladite Trinité, aaigé de XL ans ou environ.
Messire Pierre Pironel, prebtre, chanoine de la Mothe, aagé de LX ans ou environ.
Messire Nicole de Conay, prebtre, doyen de la chretienté de Bourmont, aagé de LXVII ans ou environ.
Messire Bertrand Daucy, escuier, chanoine de ladite Mothe, aagé de XLVI ans ou environ.
Messire Guillaume de Prouvenchières, prebtre, escuier, chanoine de ladite Mothe, aagé de XLVIII ans ou environ.
Maistre Thierry Rolin, prebtre, chanoine de ladite Mothe, aagé de XLIIII ans ou environ.
Messire Ogier Masson, prebtre, chanoine de ladite Mothe, aagé de LV ans ou environ.
Maistre Nicole Huot, prebtre, chanoine de ladite Mothe, aagé de XXXVI ans ou environ.
Messire Nicole Humbert, prebtre, chanoine de ladite Mothe, aagé de XXXVI ans ou environ.
Messire Anthoine du Boys, prebtre, chanoine de ladite Mothe, aagé de XXXVI ans ou environ.
Noble seigneur Bertrand de Jalin, escuier, seigneur usufruictier de la prevosté de Chastillon, aagé de LVI ans ou environ.
Pierre de Monstreul, escuier, seigneur dudit lieu, aagé de LXVI ans ou environ.
Pierre de Bignecourt, escuier, seigneur de Verrecourt en partie, aagé de LX ans ou environ.
Guillaume de Seurey, escuier, seigneur de Verrecourt en partie, aagé de XL ans.
Didier de Mandres, escuier, seigneur de Chaulmont la Ville en partie, aagé de XLVI ans.
Robert de Noirbeuille, escuier, seigneur de Senaides en partie. etc., aagé de XLVIII ans ou environ.
Guillaume de Bouzey, escuier, aagé de LXXV ans ou environ.
Pierre de Sainctouayn, escuier, aagé de LIIII ans ou environ.
Nous Jehans de Seroncourt, bailly dessus nommé, aagé de LX ans ou environ.
Nous Didier Beget, seneschal de la Mothe dessusdit, aagé de L ans ou environ.
Jehan Daucy, escuier, seigneur de Charmes en l’Angle, gruier du Bassigny, aagé de L ans ou environ.
Noble homme Drouot la Guerre, prevost de la Marche, aagé de LXIIII ans.
Noble homme Claude Vivien, clerc juré de la Marche, aagé de LIIII ans.
Thomas Guillot, substitud du procureur à la Marche, aagé de L ans.
Guillaume Bertrand, bourgeois, praticien demeurans à ladite Marche, aagé de LIll ans ou environ.
Mougot Paris, praticien, demeurans à ladite Marche, aagé de XLIII ans ou environ.
Jehan Boullenger, demeurans à Bourmont, substitud du procureur en la seneschaussee dudit Bourmont, aagé de LIlI ans ou environ.
Jehan Mourot, demeurans audit Bourmont, lieutenant local de nous bailly, aagé de L ans.
Jehan Hongre, demeurans audit Bourmont, lieutenant du gruier de Bassigny, aagé de XXXVI ans.
Demengot Vilain, demeurans à la Mothe, sergent oudit bailliaige, aagé de LX ans ou environ.
Pierre Thiebault, demeurans à ladite Mothe, substitud du procureur en la seneschaussee de ladite Mothe, aagé de XLVIII ans ou environ.
Berthelemin grant Girard, praticien de ladite Mothe, aagé de LX ans ou environ.
Jehan Merel dudit lieu, aagé de LVIII ans ou environ.
Joffroy Mourot, bourgeois de ladite Mothe, aagé de LXX ans ou environ.
Jehan Romer, mayeur à ladite Mothe, aagé de XXX ans ou environ.
Mengin de Jonnelle, eschevin dudit mayeur, aagé de LV ans.
Jehan Symon, eschevin dudit mayeur, aagé de XXXVI ans ou environ.» .
La tentative de réformation de 1571
Les coutumes rédigées en 1507 apparurent rapidement insuffisantes. Incomplètes et imprécises, elles ne traitaient que des fiefs, du régime conjugal des biens et des successions. Elles étaient muettes, par exemple, sur les donations ou la vaine pâture.
A partir de 1559, date de la majorité du duc Charles III, la situation s’améliora. Elevé à la cour de France, Charles III sut normaliser ses relations avec le royaume, et signa, le 25 janvier 1571, le concordat de Boulogne-sur-Seine. L’autorité ducale n’est plus alors contestée dans le Barrois mouvant. Le duc peut enfin s’atteler à la rédaction d’un texte plus précis[5].
En août 1571, Philibert du Châtelet, bailli du Bassigny, reçut l’ordre de convoquer à Bourmont les trois Estats du bailliage en vue d’entreprendre une nouvelle rédaction de la coutume du Bassigny[6]. Mais la réformation préparée par les Etats fut rejetée par le duc Charles III comme contraire à la coutume rédigée en 1507. Le duc tenta vainement de modifier le projet élaboré par les Etats. La réformation ne put aboutir[7].
La réformation des coutumes en 1580
Charles III laissa passer quelques années, puis entreprit une nouvelle tentative, qui fut plus habilement préparée.
Par lettres du 1er octobre 1580, il demanda que les états du Bassigny soient convoqués, mais à La Mothe cette fois. Philibert du Chastellet, bailli du Bassigny, reçut les lettres le 8 octobre, et envoya les convocations le 12 octobre, pour le 7 novembre suivant. Le jour dit, quelques 350 délégués se pressèrent dans la grande salle de l’hôtel de Sandrecourt. Les présences et défaillances furent enregistrées, ainsi que quelques protestations. Puis les travaux commencèrent.
Les participants furent divisés en deux groupes : ceux appartenant aux sénéchaussées de La Mothe et Bourmont « en ce qui ressortit à la cour souveraine des Grands Jours de Sainct-Mihiel », et ceux relevant des prévôtés de la Marche, Gondrecourt, Châtillon, Conflans et Saint-Thiébault qui relèvaient du « ressort du Parlement de Paris ».
Les participants disposaient du « vieil cayer » approuvé en 1507, du texte proposé par les Etats et du projet élaboré par les conseillers ducaux en 1571, enfin du projet que venait de préparer le procureur général. Liberté leur a été donnée par le duc de compléter ou d’amender l’ancienne rédaction. L’assemblée rédige donc ses « très humbles remonstrances » au duc, qui accorde ou infirme les propositions. Etant trop nombreuse, elle s’en remet, le 10 novembre, à une commission de 15 délégués pour la rédaction.
Le 19 novembre, la commission rend sa copie. Le texte propose 195 articles, contre 36 en 1507. Le duc le valide après quelques modifications. L’homologation a lieu le 21 novembre.
Ce texte est un nécessaire compromis entre les droits ducaux et ceux de ses sujets. Si les demandes et contributions du clergé apparaissent marginales, le débat fut animé par la noblesse, qui souhaitait graver dans le marbre ses privilèges, mais aussi par la roture, nombreuse et bien représentée par des professionnels : magistrats, gruyers, prévôts, avocats, procureurs, praticiens, greffiers, gardes des sceaux et sergents.
Les « humbles remonstrances » de la noblesse furent essentiellement de deux ordres : en matière de justice seigneuriale d’abord, mais surtout de droit des fiefs. Initialement, dans le monde médiéval, les fiefs sont réputés « fiefs de danger ». Le prince peut les reprendre si bon lui semble et contrôler leur cession. La coutume de 1507 était claire sur ce point : « tous les fiedz tenus du duc de Bar, en sondit bailliaige du Bassigny sont fiedz de dangier, rendables a luy a grande et petite force sur peine de commise[8] ». Mais en Lorraine, la noblesse s’est peu à peu affranchie du contrôle ducal sur le transfert des fiefs. Or les ducs sont d’autant plus attachés à cette prérogative qu’elle leur permet de surveiller les mutations féodales dans les régions particulièrement exposées, notamment dans les terres proches du royaume, où l’on peut craindre l’implantation de vassaux favorables au roi de France.
Les représentants de la noblesse font valoir l’usage contraire qu’ils ont peu à peu conquis. Le duc tient par principe à rappeler la règle, mais l’affaiblit en même temps en demandant que son autorisation soit simplement sollicitée en cas de mutation, et que l’hommage du nouveau vassal soit prêté. A défaut, il y aura « commise » du fief. Mais le danger de « commise » cessera dès l’acte d’allégeance accompli, même avec retard.
Les préoccupations des roturiers sont plus terre à terre, mais pleines de bon sens. C’est pourquoi le duc cède sans difficulté sur nombre de revendications, mais qui sont, somme toute, marginales. il reste par contre intraitable sur les droits de fortmariage ou de forfuyance[9], tout en admettant, ici ou là, les coutumes locales contraires pour autant qu’elles soient justifiées.
La publication des coutumes
Les coutumes du Bassigny furent homologuées par le duc Charles III le 21 novembre 1580. Rapidement cependant, on constata la nécessité de les compléter d’un code de procédure, compte tenu des pratiques différentes dans les divers sièges du bailliage[10].
En 1604, fut donc rédigé le « stile commun et forme de proceder en justice au bailliage du Bassigny », tant pour la partie du Bassigny du ressort de la cour des grands jours de Saint-Mihiel que pour la mouvance. Les deux « cayers » furent homologués par le duc le 5 août 1606.
Les coutumes, le style, les lettres du duc, tant de convocation que d’homologation, la liste des participants et des commissions de rédaction…, firent l’objet, en 1607, d’une publication soignée par les soins de Melchior Bernard, imprimeur à Pont-à-Mousson[11]. Mammès Collin en fut le maitre d’œuvre : il collationna et vérifia l’édition, en rédigea l’épître, adressée au duc Charles III, qui introduit l’ouvrage. Il semble cependant qu’il n’en vit pas la publication. Il est en effet décédé le 7 mai 1607[12].
Nous en donnons, dans le fichier en annexe, la transcription. Nous avons donc pris le parti d’une réécriture limitée : l’orthographe, la ponctuation et les accents ont été respectés, mais les abréviations ont été remplacées par les mots écrits en entier, et des espaces entre les mots ont été ajoutés là où ils faisaient défaut. Enfin, les lettres v et u, i et j ou s et f ont été rétablies telles que nous les écrivons aujourd’hui, ce qui permet de distinguer rapidement « fera » de « sera », ou de faciliter la lecture de certains mots : à titre d’exemple, nous avons écrit « vesves » ou lieu de « vefues » pour qualifier des veuves, ou « saisine » pour « faifine ».
Jean CHARLES
[1] Voir Pierre Boyé, Les anciennes coutumes inédites du Bassigny barrois, publiés dans le Bulletin historique du comité des travaux scientifiques, 1901.
[2] Janvier 1506 (ancien style) ou janvier 1507 (nouveau style).
[3] A Lamarche pour le Bassigny mouvant, à La Mothe pour le Bassigny non mouvant.
[4]ADMM B 758.
[5] Pierre Boyé, Les anciennes coutumes inédites du Bassigny barrois, ouvrage cité, page 210 : « Par ailleurs et surtout, le bailliage de Bassigny que, sous le nom de Bassigny barrois ou lorrain, on doit distinguer du Bassigny français, dont le chef-lieu était Chaumont, comprenait, au XVIe siècle, la double sénéchaussée de La Mothe et Bourmont, ressortissant à la Cour des Grands Jours de Saint-Mihiel, et, terres de mouvance, les prévôtés de Conflans, de Châtillon-sur-Saône, de La Marche, de Gondrecourt et de Saint-Thiébault. C’est pour celles-ci et le bailliage de Bar qu’en novembre 1555, lors de sa réformation des Coutumes de Sens, Charles III fut invité à se faire représenter à l’assemblée des trois ordres. Malgré l’opposition de son procureur, Philippe Merlin, qui déclara « n’entendre comparoitre pour le fait de la rédaction », on décida que le prince et ses sujets seraient régis par les articles à l’examen, sans préjudice, cependant, des Coutumes locales qui pourraient être proposées au cours de la session et que les commissaires vérifieraient. Mais Merlin se retira sans produire aucun cahier. On le condamna par défaut. Le Bassigny mouvant fut donc considéré comme soumis aux Coutumes générales de Sens, jusqu’au concordat conclu, le 25 janvier 1571, entre Charles IX et le duc. En conséquence de ce dernier arrangement, les États de Bassigny furent réunis, au mois d’août suivant, dans la ville de Bourmont, pour remanier des Coutumes désormais applicables sans conteste à la totalité du ressort. ».
[6] Voir Jean Coudert, Le duc Charles III et la réformation des coutumes du Bassigny lorrain (1571-1580), Annales de l’Est, n°1, 1991, Presses universitaires de Nancy.
[7] ADMM B 758 n° 37.
[8] Saisie.
[9] Voir le glossaire à la fin de l’article.
[10] Lettres d’homologation du « stile » par le duc Charles III le 5 août 1616 : « à cause de la diversité des sieges, il n’y avait aucun stile arresté, ainsi qu’il est de besoing, afin de relever les partie de frais, que souvent il convenait faire pour la verification d’iceluy, nous aurions des lors commandé que les praticiens fussent assemblés pour s’en accorder, et reduire en un cahier».
[11] Une seule réédition fut réalisée, par l‘éditeur Thomas à Nancy, en 1761.
[12] ADMM Ms SAL 486/1 : « fondation de 20 messes…. le 7 mai pour Noble Mammès Collin décédé a tel jour en 1607 ». La lettre d’anoblissement de Jean Baptiste Collin en 1629 précise par ailleurs : « suite feu Mammès son pere appelé par feu notre très honoré seig(neu)r et aieul le duc Charles en la charge de conseiller en son conseil commis du procureur general et en la susdite de lieutenant général en lesquel autre service il aurait été employé a rédiger les coutumes générales du bailliage dont il se serait acquitté avec telle peine et succès que plusieurs savent les avantages qu’il s’en pouvait promettre et notamment de l’annoblissement de sa maison qui lui était assuré si son décès n’eut prévenu cette reconnaissance de feu SA…. ». voir aussi ADHM B Bourmont 89.